Rebond : un premier projet abouti
Adapter les méthodes de management du sport de haut niveau à des patients atteints de cancer pouvait paraître une gageure. Jusqu’à ce que le monde du sport et de la santé se rencontrent pour donner corps au projet Rebond.
Un coaching d'inspiration sportive
Peut-on accompagner un malade du cancer comme on coache un athlète de haut niveau ? Les méthodes de motivation qui ont conduit les sports collectifs français aux titres mondiaux et olympiques sont-elles transposables à l’oncologie et plus largement à la santé ? Ces questions ont mené à la mise en place du projet Rebond, pour le rétablissement social, professionnel et psychologique des patients en rémission de cancer après une transplantation allogénique de cellules souches hématopoïétiques.
Les évolutions dans la prise en charge psychologique du patient et le développement de nouvelles démarches thérapeutiques ont permis d’explorer de nouveaux modes d’accompagnement.
Dans une logique innovante, le laboratoire Management Sport Cancer a ainsi étudié le transfert des théories et des pratiques de l’accompagnement de la performance dans le sport de haut-niveau vers le domaine de l’oncohématologie. L’axe de recherche initial a porté tout particulièrement sur les conditions d’existence et d’efficacité de la relation entraîneur-entraîné, ainsi qu’une possible adaptabilité à la relation d’aide chez les patients atteints ou en rémission de cancer.
La mise en synergie d’un ensemble d’acteurs de la relation d’aide et du soin ont conduit à un dispositif d’accompagnement pérenne dépassant le seul cadre hospitalier. Le sport de haut niveau et ses acteurs majeurs, les grands coachs, se trouvent au centre de la réflexion interdisciplinaire. Objectif : appréhender différemment l’accompagnement du patient, pendant et après son parcours thérapeutique, ainsi que son écosystème, à travers une approche dénommée « onco-coaching d’inspiration sportive ».
Une phase de pré-test (5 patients)
Les résultats exposés ici correspondent à une phase de développement menée sur 5 patients volontaires auxquels nous avons proposé une démarche d'accompagnement sous la forme d'entretiens avec un coach issu du monde du sport.
Le médecin greffeur a proposé à 5 patients en rémission la possibilité de suivre des séances de coaching à 6 mois (minimum) post-greffe. Ces séances de coaching consistaient en des entretiens individuels d'une durée d'une heure dont la fréquence et le nombre étaient définis par le patient en concertation avec le coach expert dans l'accompagnement de la haute performance sportive. Les avis des ex-patients ont été recueillis au terme de leurs séances de coaching par des entretiens individuels conduits par une équipe de chercheurs interdisciplinaires dédiée au projet et directement associée dans ce projet de recherche. Le but de ces entretiens était d'évaluer la pertinence d'un tel dispositif, de caractériser les bienfaits perçus en termes d'objectifs réalisés, d'ouvertures induites et également de mesurer l'impact du sport dans la spécificité de l'accompagnement.
Le résultat majeur de cette phase de développement est que les patients ont tous repris, à l'issue du coaching, des activités professionnelles, associatives ou sportives. Concernant l'évaluation générale des apports des séances de coaching, notre échantillon fait apparaître une satisfaction unanime avec le souhait de « voir les séances ouvertes au plus grand nombre ». Les coachés ont également exprimé de la gratitude et un fort sentiment de considération pour, d'une part, s'être vu proposer la participation au protocole d'accompagnement et, d'autre part, avoir fait l'objet d'une attention et d'une écoute individualisées. De plus, le fait que l'accompagnement soit effectué hors contexte hospitalier et par un coach étranger au corps médical et paramédical semble revêtir une importance qui sera sondée plus précisément. D’autant plus que l'appartenance du coach au domaine du sport de la haute performance lui confère une certaine forme de singularité efficace.
Le coaching a permis de « mettre du sens », de « passer du besoin de survivre à l'envie de vivre de manière autonome et consciente » et de se projeter avec enthousiasme dans l'avenir « sans ressentir de la culpabilité d'avoir survécu ».
Sur le plan comportemental, tous signifient que les entretiens ont eu pour conséquences de leur donner à nouveau confiance en eux, en leurs capacités d'entreprendre et/ou de (re)prendre, avec efficacité, le contrôle de leurs actions et plus globalement de leur vie, que ce soit au niveau professionnel ou plus personnel où le « temps pour soi » est désormais abordé comme une évidence non négociable. Donner une orientation positive à la maladie apparaît comme un des effets majeurs de leur interaction avec l'accompagnant.
Les résultats jugés prometteurs par les professionnels de la greffe ont permis le lancement d’une étude de faisabilité structurée méthodologiquement afin d’évaluer par des critères objectifs l’acceptation et l’efficacité de cette approche. L’objectif de la deuxième étude, effectuée dans le cadre d'un programme de recherche sur 32 patients greffés, sera de confirmer les pistes dévoilées par l’étude préliminaire.
Une étude pilote (32 patients)
Pour cette deuxième phase, trente-deux patients en rémission après une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques (HSCT) ont participé à une étude monocentrique et prospective au 6e mois post-greffe. Comme pour la phase de pré-test, les séances de coaching ont été menées par un coach ayant une expertise dans l'encadrement des sportifs de haut niveau. Elles se sont déroulées hors milieu hospitalier, avec une technique basée sur l'entretien motivationnel qui engage le coaché dans un processus de changement.
Pour cette étude exploratoire, des méthodes mixtes ont été utilisées. Le critère d’évaluation principal était le nombre de patients participant au premier rendez-vous de coaching ainsi que le taux de remplissage des questionnaires. L’objectif secondaire était d’observer l’efficacité d’un tel programme sur différentes dimensions reflétant le rétablissement psychologique et social des patients. Cet objectif a été évalué par des entretiens semi-directifs ainsi que des questionnaires auto-rapportés validés (auto-efficacité, espoir, motivation globale et qualité des relations interpersonnelles). Les entretiens ont eu lieu avant et après la première séance de coaching puis après la dernière séance. Les questionnaires ont été proposés aux patients avant la première session, puis à 3 temps de mesure post-inclusion.
14 hommes et 18 femmes avec un âge médian de 53 ans ont été inclus dans l'étude. Sur les 32 patients, 24 sont allés au terme. Le taux de remplissage des questionnaires auto-administrés a été compris entre 100% et 70,4% du début à la fin.
Les analyses statistiques réalisées sur les questionnaires ont montré une amélioration significative de la dimension « Moyens » de l’échelle mesurant l’Espoir au cours du temps.
Plusieurs thèmes spécifiques ont été mis en avant grâce à l'analyse des entretiens. Il a notamment été exprimé le besoin de soutien social complémentaire au suivi psychologique délivré pendant le traitement.
Le programme de coaching est perçu comme un pont permettant d'envisager sereinement l'avenir, car il permet de se sentir soutenu et de reprendre des relations sociales. Enfin, selon les patients, le contexte extra hospitalier et sportif forme un soutien particulier, distinctif et donc attractif.
La participation au programme semble avoir eu des conséquences émotionnelles, psycho-cognitives et conatives. Dès la première rencontre, les patients ont fait état d'une amélioration de leur bien-être émotionnel, ce qui pourrait conduire à une réduction de l'anxiété liée à leur maladie. Au fil des séances, ils ont pris conscience d'un fonctionnement sous-optimal et ont modifié leurs croyances sur eux-mêmes. Ils ont reconnu que le programme avait ouvert des voies qu'ils n'auraient pas imaginées et leur a donné la possibilité de concrétiser leurs intentions en s'activant et en retrouvant un fonctionnement social positif.
Cette phase de faisabilité terminée, nous projetons le programme dans une étude randomisée à plus grande échelle, sur une centaine de patients, à l’horizon 2022. La réalisation de ce troisième protocole Rebond devra permettre de mesurer significativement l’impact du dispositif sur des variables couramment utilisées dans les études cliniques comme la qualité de vie, tout en confirmant ou infirmant l’impact sur la variable espoir mesuré dans Rebond 32 patients.
Le protocole a reçu l'approbation du Comité de protection des personnes Sud-Méditerranée (avis rendu le 26 avril 2017, réf CPP : 2017/6).
Paroles de patients
Le besoin de soutien
Pendant les traitements : Certains patients suggèrent qu'il serait pertinent de complémenter le soutien psychologique existant par l'apport d'un soutien social davantage axé sur la proposition de solutions concrètes.
Après les traitements : Les patients mentionnent que le dispositif d'accompagnement représente une "passerelle" entre la période d'hospitalisation et celle de rémission. Ceci leur permet de ne pas se sentir abandonnés. Il répondrait à un besoin de continuité, dans le soutien, entre l’hospitalisation et la période de rémission.
Les caractéristiques du dispositif
Contexte externe à l’hôpital : Les patients soulignent l’importance du contexte externe à l’hôpital car il est l'occasion de rencontrer de nouvelles personnes [NDLR : extérieures à l'environnement médical] et de se resocialiser. Ce contexte place le patient dans une atmosphère signifiant la fin de la maladie et acte le passage d’un statut de malade à celui de non-malade voire de "personne normale". Il permet de se projeter ailleurs que dans l'univers de la maladie.
Contexte sportif : Les patients mettent en exergue la culture sportive du coaching et l'expertise professionnelle du coach dans la haute performance. L’environnement sportif est décrit comme positif et énergique, évoquant le mouvement et le dynamisme. Il évoque aux participants des valeurs et des symboles spécifiques qui ouvrent la possibilité de retrouver et de mobiliser leurs ressources internes pour dépasser le statut de malade. Enfin, pour certains, le sport incarne la possibilité de lien social, d’échanges facilités et simplifiés grâce au discours sportif.
Un triple impact
Emotionnel : Dès le premier rendez-vous, les patients décrivent un effet émotionnel. Ils se disent apaisés, canalisés, rassurés et mis en confiance. Ils expriment de l’enthousiasme, du dynamisme, de l’optimisme. Ils se sentent énergisés. A la fin du programme, certains s’avouent moins inquiets ou préoccupés vis-à-vis de la maladie. Parfois, certains en ressortent déstabilisés émotionnellement, surpris. D’autres encore font état d’une fatigue et ont l’impression d’être « vidés ».
Psycho-cognitif : Les patients relatent la prise de conscience d’un fonctionnement non optimal : constat de manque d’interaction sociale liée à la peur de la rechute, tendance à la déresponsabilisation et à la passivité en prétextant le statut de malade. Ce programme a ouvert des pistes non envisagées jusqu'alors.
Les patients initient, dès le premier rendez-vous, une réflexion sur eux-mêmes et sur ce que l’expérience de la maladie pouvait apporter comme opportunité de changement identitaire et de perspectives de vie. Le programme a engendré la formulation de nouveaux buts de vie permettant d’éloigner la maladie, la possibilité de penser à soi autrement que par un corps malade et de gagner en estime.
Conatif : La composante conative renvoie au processus psychique permettant d’aboutir à l’action. Les interrogés témoignent du plaisir de la remise en mouvement. Les patients précisent que ce dispositif a été une occasion pour eux d'une remise en question professionnelle, d'un engagement bénévole et social plus important ou la réalisation d'un projet personnel ambitieux.
Témoignages du programme